Madame Leen Vandecruys, vous êtes aujourd’hui CEO de Monard Law, après avoir été Head of General Legal Affairs chez ING et General Counsel chez Delen Private Bank. L’innovation juridique est un sujet plus que brûlant, sur lequel vous avez une vision très claire. À cet égard, constatez-vous des différences majeures entre le monde financier, d’où vous venez, et un cabinet d’avocats comme Monard Law ?
Les défis de la numérisation et la nécessité d’innover sont propres à tous les secteurs. Grâce à mon expérience professionnelle et à la combinaison du rôle de juriste d’entreprise dans le secteur financier, d’ancienne avocate et de juge dans des affaires d’entreprise, je pars d’une vision large pour concevoir une stratégie d’innovation qui inclut une approche du point de vue du client, de la magistrature, de la profession juridique… dans les échanges et la défense de leurs intérêts.
Les deux secteurs proposent des activités de service, ce qui implique une approche spécifique. Il est intéressant de pouvoir bâtir des ponts entre ces deux mondes et d’adopter une approche dans un contexte plus large.
Les technologies modernes, l’IA et la modélisation des données, sont des outils qui permettent de simplifier l’organisation, de rendre les services plus efficaces et de progresser.
Dans les deux cas, tout commence par la compréhension et la découverte de ce que cette innovation peut signifier pour ses propres services et sa propre organisation, par l’acceptation de cette évolution et par la mise en œuvre de celle-ci.
Stéphane Criel, en mars 2024, vous avez été interviewé par VRT NWS, où vous avez expliqué que Monard Law a investi dans 2 systèmes pilotés par l’IA. Quelle est votre expérience à ce sujet et comment voyez-vous l’avenir ?
L’expérience est positive et avantageuse. Le premier système est conçu pour enregistrer automatiquement l’heure de toutes les prestations fournies dans un environnement Office 365. Il s’agit d’un outil piloté par l’IA qui suggère même dans quel fichier vous avez effectué une prestation. Ainsi, pour moi, au moins une demi-heure d’administration disparaît chaque jour. Je peux consacrer ce temps aux clients ou à aider les collègues, ce qui est le plus important. En outre, ce système offre au client une transparence sur les heures facturées. En même temps, c’est instructif parce que cela nous donne de nouvelles idées.
En outre, nous avons également investi dans un outil qui aide à rédiger et à adapter les contrats et les clauses, et qui permet désormais aussi de retravailler le texte de façon plus poussée avec l’aide de l’IA. Nous débloquons ainsi nos données et, dans le même temps, l’IA nous permet d’améliorer encore les résultats.
Mais l’IA reste principalement un outil, et l’intervention ou le contrôle d’un humain reste essentiel.
Quant à cet avenir : les choses évoluent tellement vite que je n’ose pas prédire où nous en serons dans deux ans. Mais je pense qu’il est particulièrement important d’oser expérimenter l’IA, et cela se fait encore trop peu dans la profession juridique.
Madame Leen Vandecruys, Monard Law a déjà investi dans des systèmes pilotés par l’IA, quelle est votre vision de l’adoption de l’IA au sein de Monard Law comme outil de croissance, d’optimisation des opérations et de renforcement des relations clients ?
Spécifiques à la profession juridique, le rôle de personne de confiance et la tâche de décharger le client sont des questions de connexion basée sur une relation client humaine. L’IA et la technologie viennent s’ajouter pour faciliter l’aspect personnel plutôt que de le remplacer.
En tant que prestataire de services professionnels, il est important de connaître son client et de simplifier l’organisation de manière à ce qu’un client-entrepreneur puisse ressentir la coopération avec Monard Law comme une aide qualitative et concrète pour ses activités professionnelles. Il nous appartient de mettre en place l’organisation en conséquence, de suivre des processus efficaces et d’utiliser au mieux le talent de nos avocats et de notre personnel.
Toute innovation et amélioration de l’efficacité que la technologie peut faciliter à cet égard sera de toute façon synonyme de croissance et de progrès.
M. Stéphane Criel, vous êtes l’un des cofondateurs de Future Lawyers Belgium (une plateforme qui vise à inciter les avocats à innover) et vous avez également été membre du groupe de travail Overmorgen de l’Ordre des barreaux flamands (dont la mission était de fournir une vision de l’avenir de la profession d’avocat). À quelle vitesse tout cela évolue-t-il ?
Pas assez vite pour certains, beaucoup trop vite pour d’autres. Mais il est clair que les choses bougent et c’est une bonne chose. Les avocats ne sont pas différents des autres entrepreneurs. Justement parce que cela va si vite, je vois les risques pour ceux qui pensent que tout cela est « largement exagéré ». Innover demande avant tout un état d’esprit. Et cela ne s’acquiert pas du jour au lendemain… Cela prend du temps d’attendre et de rester ouvert. Beaucoup d’avocats (et aussi beaucoup d’autres professionnels libéraux, comme les comptables récemment) se plaignent de la pression du travail et du manque de temps. Mais ils se débrouillent. Il est important de prendre le temps et l’espace nécessaires pour réfléchir à la manière dont votre service pourrait être différent et meilleur. Personnellement, je préférerais ne pas subir une opération délicate avec un chirurgien qui me dit qu’il ne sait pas par où commencer et qui n’est pas complètement présent lorsqu’il s’agit de ma santé. Sans parler du fait que je l’autoriserais à m’opérer alors que je constate que son équipement est dépassé, parce que oui, ça coûte de l’argent ces mises à jour de logiciels… C’est pourquoi, avec Future Lawyers Belgium, nous nous concentrons sur cet état d’esprit et nous voulons inspirer à innover. Nous le faisons principalement en écoutant des histoires qui viennent de l’extérieur de notre monde. Mais je crains que ceux qui ne font pas l’effort de rester à la page aujourd’hui risquent d’être irrémédiablement laissés pour compte.
Cet entretien est paru le 18 novembre 2024 sur le site de AI Hub by Larcier-Intersentia : IA dans le monde juridique | AI-Hub