Note d’observations sous l’arrêt de la Cour de cassation du 26 avril 2024

La Cour de cassation s’est récemment prononcée sur le pouvoir de contrôle des juridictions relatif aux honoraires fixés par les avocats, notamment lorsque ceux-ci interviennent en qualité de mandataire de justice.

Conformément à l’article 446ter du Code judiciaire, l’avocat, fût-ce en qualité d’administrateur provisoire d’une succession, fixe lui-même ses honoraires. Le juge est habilité à réduire ces honoraires que s’ils dépassent manifestement les bornes de la juste modération.

L’arrêt de la cour d’appel de Mons du 17 avril 2023 qui écarte cette règle au motif que lorsque le juge confie un mandat de justice à un avocat, la relation qui se noue se situe en dehors du champ contractuel, et qui estime qu’il appartient au juge de substituer sa propre appréciation à celle de l’avocat mandataire de justice s’il constate un dépassement de la juste modération, ce dépassement ne devant pas être manifeste, n’est pas légalement justifié.

 

Cette note peut être consultée sur Stradalex via la référence suivante: J. Buyle, et L. Degeest, « Les honoraires de l’avocat mandataire de justice », J.L.M.B., 2024/28, pp. 1265-1267.

Avocats – Relations avec les clients – Honoraires – Mandat de justice – Dépassement de la juste modération – Dépassement manifeste.

Observations.

En application de l’article 446ter du Code judiciaire, l’avocat, fût-ce en qualité d’administrateur provisoire d’une succession, détermine lui-même ses honoraires et le juge ne peut les réduire que s’ils dépassent manifestement les bornes de la juste modération.

L’arrêt qui écarte cette règle au motif que lorsque le juge confie à un avocat un mandat de justice, la relation qui se noue se situe en dehors du champ contractuel, et considère ensuite qu’il appartient au juge de substituer sa propre appréciation à celle du mandataire s’il constate un dépassement de la juste modération, ce dépassement ne devant pas être manifeste, n’est pas légalement justifié.

 

(L.V. et Me C.F. qualitate qua M.D. et J.N.)

N° C.23.0281.F

I. La procédure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est dirigé contre l’arrêt rendu le 17 avril 2023 par la cour d’appel de Mons.

(…)

III. La décision de la Cour

Sur le moyen :

Quant à la première branche :

L’article 446ter du Code judiciaire prévoit, à l’alinéa 1er, que les avocats taxent leurs honoraires avec la discrétion qu’on doit attendre d’eux dans l’exercice de leur fonction, et, à l’alinéa 2, que, dans le cas où la fixation excède les bornes d’une juste modération, le conseil de l’Ordre la réduit, en ayant égard notamment à l’importance de la cause et à la nature du travail, sans préjudice du droit de la partie de se pourvoir en justice si la cause n’est pas soumise à arbitrage.

Il suit de cette disposition que, lorsque l’avocat, fût-ce en qualité d’administrateur provisoire d’une succession, détermine ses honoraires, le juge ne peut réduire les honoraires réclamés que s’ils dépassent manifestement les bornes de la juste modération.

L’arrêt, qui relève que

« l’avocat en tant que mandataire de justice doit fixer ses honoraires en respectant les règles de sa profession et notamment l’article 446ter précité »,

considère que,

« lorsque le juge confie à un avocat un mandat de justice, la relation qui se noue se situe en dehors du champ contractuel »

et que

« la jurisprudence (…) selon laquelle le tribunal ne peut modérer la taxation des honoraires de l’avocat que si elle est manifestement déraisonnable et qu’il ne peut pas se substituer à l’avocat à cet égard, disposant seulement d’un pouvoir de contrôle marginal, est dès lors inapplicable ».

L’arrêt, qui, pour réduire les honoraires des demanderesses, considère ainsi qu’il « appartient [au juge] de substituer sa propre appréciation à celle du mandataire s’il constate un dépassement de la juste modération, ce dépassement ne devant pas être manifeste », viole la disposition légale précitée.

Le moyen, en cette branche, est fondé.

Par ces motifs,

(…)

Casse l’arrêt attaqué ;

(…)

Siég. :   M. M. Lemal (prés.), Mme M.-Cl. Ernotte, M. M. Marchandise (rapp.), Mme M. Moris et M. S. Claisse.          Greffier : Mme P. De Wadripont.

M.P. :   Mme B. Inghel.

Plaid. :  Me P.A. Foriers.

 

J.L.M.B 24/185

Observations

Les honoraires de l’avocat mandataire de justice

L’article 446ter du Code judiciaire constitue un fondement essentiel de la réglementation des honoraires des avocats, établissant des principes de discrétion et de juste modération. Cette disposition légale sollicite des avocats qu’ils fixent leurs honoraires avec la discrétion qu’on doit attendre d’eux dans l’exercice de leur fonction sans que cette fixation n’excède les bornes d’une juste modération[1]. En cas de contestation, le conseil de l’Ordre est habilité à réduire les honoraires s’ils excèdent manifestement les limites de cette juste modération, en tenant notamment compte de l’importance financière et morale de la cause, de la nature et l’ampleur du travail accompli, du résultat obtenu, de la notoriété de l’avocat et de la capacité financière du client[2].  Toutefois, ce cadre réglementaire soulève des interrogations quant à l’étude du pouvoir de contrôle des juridictions sur les honoraires fixés par les avocats, notamment lorsque ceux-ci interviennent en tant que mandataires de justice. L’arrêt de la Cour de cassation du 26 avril 2024 illustre parfaitement ce débat.

Dans cette affaire, le pourvoi en cassation est dirigé contre un arrêt rendu par la cour d’appel de Mons le 17 avril 2023. En l’espèce, L.V. et C.F., demanderesses en cassation, ont été désignées en qualité d’administratrices provisoires des successions de M.D. et J.N. À l’issue de la mission de C.F., qui avait remplacé L.V., ayant quitté le barreau, celle-ci ont sollicité la taxation de leurs honoraires calculés sur la base d’un barème indicatif suggéré par l’O.B.F.G. Par une ordonnance du 15 juillet 2022, le président du tribunal de première instance du Hainaut, division de Mons, a taxé les honoraires revenant à C.F. et a invité L.V. à déposer un état de frais et honoraires séparé. Saisie de cette affaire, la cour d’appel de Mons a confirmé l’ordonnance taxant les honoraires de C.F. et par voie de dispositions nouvelles, a taxé l’état de frais et honoraires de L.V. Les demanderesses ont alors formé un pourvoi en cassation et ont invoqué la violation de l’article 446ter du Code judiciaire.

L’arrêt attaqué relève que l’avocat, agissant en qualité de mandataire de justice, doit fixer ses honoraires en respectant les règles de sa profession et notamment, l’article 446ter du Code judiciaire. Ce même arrêt considère que lorsqu’un juge confie un mandat de justice à un avocat, la relation qui se noue entre les deux protagonistes se situe en dehors du champ contractuel et que dès lors, la jurisprudence selon laquelle le tribunal ne peut réduire la taxation des honoraires de l’avocat que si elle est manifestement déraisonnable et qu’il ne peut pas se substituer à l’avocat à cet égard, disposant d’un seul pouvoir de contrôle marginal, est inapplicable.

Le choix opéré par la cour d’appel de Mons d’appliquer l’article 446ter du Code judiciaire à l’avocat mandataire de justice mérite d’être saluée, comme l’a également souligné l’avocate générale Bénédicte Inghels dans ses conclusions. En effet, l’avocat agissant en qualité de mandataire de justice n’est pas, du fait de sa désignation, exempté de respecter les règles usuelles de sa profession. Comme le mentionne à juste titre l’avocate générale, l’article 2.7 du Code de déontologie des avocats prévoit que : « [l]’avocat investi d’un mandat de justice (curateur de faillite, mandataire de justice dans le cadre de la loi sur la continuité des entreprises, curateur à succession vacante, etc.) reste soumis à toutes les obligations déontologiques du barreau compatibles avec le mandat dont il est chargé »[3]. De plus, eu égard au dévouement apporté par l’avocat, en l’espèce administrateur provisoire, à l’exercice de son mandat, il semble légitime que ce dernier soit en droit de percevoir une rémunération pour le travail effectué. À ce sujet, les demanderesses soulignent, qu’en application des règles du mandat et en l’absence de barème fixé par la loi[4], le mandataire de justice détermine librement sa rémunération, laquelle est ensuite soumise au contrôle du juge[5] qui conformément aux principes, est un contrôle marginal[6].

Il convient toutefois de s’étonner de la position adoptée par la cour d’appel de Mons concernant le contrôle opéré par le juge. En effet, dans son arrêt du 17 avril 2023, la cour dit pour droit que lorsque le juge confie un mandat de justice à un avocat, la relation qui les unit n’est pas contractuelle, ce qui exclut la non-possibilité pour le juge de substituer sa propre appréciation à celle de l’avocat, rendant ainsi non-applicable la jurisprudence selon laquelle le tribunal ne peut réduire la taxation des honoraires de l’avocat que si elle est manifestement déraisonnable. Toutefois, dès lors que l’article 446ter du Code judicaire s’applique à l’avocat mandataire de justice, il apparaît difficile de n’appliquer que certaines de ses conditions tout en en excluant d’autres, sous l’unique prétexte que la relation nouée entre le juge et l’avocat mandataire de justice n’est pas contractuelle. Il est en effet de jurisprudence constante que le contrôle opéré par le juge en application de l’article 446ter du Code judiciaire est un contrôle marginal, limité à l’analyse du caractère manifestement raisonnable ou déraisonnable de la fixation des honoraires de l’avocat[7]. La Cour de cassation considère que l’article 446ter du Code judicaire a une portée générale en ce sens qu’il s’applique tant aux honoraires contractuellement fixés qu’aux décisions unilatérales de fixation de ces honoraires[8].

À la lumière de ces développements, on doit conclure au fait que l’arrêt de la cour d’appel de Mons qui considère que, en l’absence de relation contractuelle, il appartient au juge de substituer sa propre appréciation à celle du mandataire avocat s’il constate que la fixation des honoraires dépasse la juste modération, sans que ce dépassement doive être manifeste, viole l’article 446ter du Code judiciaire. Par conséquent, il est justifié que la Cour de cassation ait cassé l’arrêt attaqué et renvoyé la cause devant la cour d’appel de Liège.

 

 

[1]   Code judiciaire, article 446ter, alinéas 1er et 2.

[2]   Code de déontologie de l’avocat, article 5.34.

[3]   Code de déontologie des avocats, article 2.7.

[4]   Les demanderesses font référence à la doctrine suivante : P. Wéry, Le mandat, 2e éd., tiré à part du Rép. not., Bruxelles, Larcier 2019, n° 10 ; F. Glansdorff et E. Van den Haute, Traité de droit civil belge, coll. De Page, t. III, Les contrats, vol. 4, Mandat, prêt, dépôt, transaction, contrats aléatoires, Bruxelles, Bruylant 2017, n° 10 et réf. ; R.P.D.B., t. VII, V° Mandat, n° 37 et réf.

[5]   Cass. (3e ch.), 14 octobre 2002, V.R. c. D.R.M., Arr. Cass., 2002, liv. 10, p. 2165 ; https://juportal.be , 14 novembre 2002 ; N.j.W.,2002, liv. 13, p. 462 ; Pas., 2002, liv. 9-10, p. 1932 ; R.R.D., 2004, liv. 111,  p. 121, note C. Marr; R.W., 2003-2004, liv. 33, p. 1297 et http://www.rw.be, 20 avril 2004, note A. Van Oevelen ; R.G.D.C., 2003 (abrégé), liv. 8, p. 603, note P. Wéry : « Que le mandat, tel qu’il est défini par le Code civil, est par nature gratuit, mais qu’un salaire peut cependant être convenu ; que ce salaire doit constituer une rémunération équitable pour les services rendus ;

Qu’en rédigeant les dispositions relatives au mandat, les auteurs du Code civil n’ont pas voulu déroger à la règle traditionnelle de l’ancien droit selon laquelle les juges peuvent exercer un contrôle sur les salaires des mandataires mais ont voulu, au contraire, consacrer cette règle ».

[6]   P.-A. Foriers et F. Jafferali, « Le mandat (1991 à 2004) », in Actualités de quelques contrats spéciaux, Bruxelles, Bruylant, 2005, pp. 62-63.

[7]   Cass. (1re ch.), 9 septembre 2022, E-Legis – Huybrechts – Engels – Craen en Vennoten c.v. c. G.D., Europese maatschappij voor schaderegeling en expertise (EUROMEX) n.v., https://juportal.be/, 16 septembre 2022 ; cette revue, 2022, p. 1612 et https://jlmbi.larciergroup.com/, 10 novembre 2022 ; R.A.B.G., 2023, liv. 3, p. 190, note S. Melis ; R.W., 2022-2023 (sommaire), liv. 19, p. 745 et http://www.rw.be/, 4 janvier 2023.

[8]   Cass. (1re ch.), 24 mars 2016, Delboo Deknudt, burgerlijke vennootschap onder de vorm van een b.v.b.a. c. Orde van advocaten van de balie te Kortrijk, Juristenkrant 2016 (reflet H. Lamon), liv. 327, pp. 1 et 7 ; D&T, 2016, liv. 1, p. 133, note ; https://juportal.be, 25 avril 2016, concl. A. Van Ingelgem ; cette revue, 2016, p. 1043 et https://jlmbi.larciergroup.com/, 13 juin 2016, note  ; RABG 2016, liv. 10, p. 693, note A. Renette et B. Maes ; R.W., 2015-2016 (sommaire), liv. 34, p. 1360 et http://www.rw.be/, 24 avril 2016 ; R.W., 2016‑2017, liv. 21, p. 816 et http://www.rw.be/, 24 janvier 2017, note A. Renette ; T.G.R. – T.W.V.R., p. 2016, liv. 3, p. 209, note F. Moeykens.

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