La réforme de la prescription en matière pénale

La prescription, cause d’extinction de l’action publique en droit belge, s’est progressivement imposée comme l’un des aspects les plus techniques de la procédure pénale, à mesure que les réformes législatives ont façonné et redéfini ses contours. La loi « droit de la procédure pénale I » du 9 avril 2024, entrée en vigueur le 28 avril 2024, contribue à cette redéfinition en instaurant un régime destiné à simplifier le mécanisme de la prescription de l’action publique autrefois particulièrement ardu.

Il convient de distinguer trois grands piliers sur lesquels se fonde la réforme du régime de la prescription de l’action publique. Premièrement, les délais de prescription sont allongés et désormais immuables, les causes d’interruption étant abolies. Deuxièmement, la prescription cesse de courir dès qu’une juridiction de jugement est saisie de l’action publique. Troisièmement, les causes de suspension sont considérablement limitées, ces dernières n’étant considérées que lorsqu’il existe réellement un obstacle légal à l’introduction ou à l’exercice de l’action publique.

 

1. Allongement des délais de prescription

 

Sous l’ancien régime, les délais de prescription variaient de six mois à vingt ans, en fonction de la nature de l’infraction commise. Ces délais pouvaient également être réduits par l’application des mécanismes de correctionnalisation et de contraventionnalisation. Cependant, avec l’entrée en vigueur de la loi « droit de la procédure pénale I », ces délais ont été considérablement allongés. Désormais, ils sont fixés en fonction de la peine prévue par la loi, sans possibilité de réduction par le biais des mécanismes de correctionnalisation et contraventionnalisation.

En application du nouveau régime, l’action publique se prescrit, à compter du jour où l’infraction a été commise, après :

  • 30 ans pour les crimes passibles d’une peine d’emprisonnement à perpétuité ;
  • 20 ans pour les crimes passibles d’une peine d’emprisonnement de 20 à 30 ans ;
  • 15 ans pour les crimes passibles d’une peine d’emprisonnement de 5 à 20 ans ;
  • 10 ans pour les délits ;
  • 1 an pour les contraventions.

Il convient également de mettre en exergue une nouvelle catégorie de crimes imprescriptibles, à savoir le meurtre commis pour faciliter le vol et l’assassinat, lorsqu’ils sont perpétrés dans certaines circonstances définies dans le titre préliminaire du Code de procédure pénale.

 

2. Suppression des causes d’interruption

Le nouveau régime de la prescription en matière pénale s’accompagne de la suppression des causes d’interruption, renforçant ainsi le mécanisme répressif. Avant le 28 avril 2024, un acte d’instruction ou de poursuite interrompait le délai de prescription, entrainant la cessation du délai primaire et la prise d’un cours d’un délai secondaire de durée équivalente. Ces causes d’interruption ne sont plus prévues dans le cadre légal actuel.

 

3. La prescription cesse de courir à dater du jour où la juridiction de jugement est saisie de l’action publique

La prescription cesse de courir à dater du jour où la juridiction de jugement est saisie de l’action publique. Autrement dit, dès l’introduction de l’affaire au fond, l’action publique ne peut plus être frappée de prescription. En contrepartie, le législateur prévoit que la juridiction saisie est désormais habilitée à prononcer l’extinction de l’action publique en cas de non-respect « très grave » du délai raisonnable et ce, de manière motivée.

Cette cessation du cours de la prescription soulève des interrogations quant à la possibilité pour le ministère public de recourir à des manœuvres visant à éluder l’obstacle de la prescription en soumettant à la juridiction de jugement des affaires dont l’information préliminaire n’est pas encore clôturée. Une telle pratique serait contraire au principe de loyauté dans l’exercice de l’action publique, ce qui pourrait entrainer l’irrecevabilité de cette action.

 

4. Limitation des causes de suspension

La loi énumérait diverses causes de suspension, notamment le traitement des exceptions procédurales d’incompétence, d’irrecevabilité, de nullité ou encore l’introduction d’une demande d’accomplissement d’actes d’instruction complémentaires par un inculpé avant que l’affaire ne soit traitée par la chambre du conseil. À présent, les causes de suspension se limitent à deux hypothèses spécifiques : lorsque la loi le prévoit ou lorsqu’il existe un obstacle légal à l’introduction de l’action publique.

Dès lors que la prescription cesse de courir à compter de la saisine de la juridiction de jugement, les causes de suspension ne peuvent être considérées qu’au cours de l’enquête pénale. On pense par exemple à la question préjudicielle soumise par la chambre du conseil ou la chambre des mises en accusation à la Cour constitutionnelle ou à la cause de suspension de 122 jours liée à la pandémie COVID-19 prévue par l’arrêté royal du 9 avril 2020 portant des dispositions diverses relatives à la procédure pénale et à l’exécution des peines et des mesures prévues dans le cadre de la lutte contre la propagation du coronavirus COVID-19.

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La réforme du régime de la prescription de l’action publique doit être saluée pour son ambition de simplification des règles applicables. Cette simplification est essentielle non seulement pour diminuer les débats procéduraux qui peuvent engendrer des retards superflus, mais aussi pour améliorer la compréhension du système judiciaire par les justiciables. En clarifiant ces règles, la réforme vise à rendre la justice plus accessible et efficace.

En revanche, l’allongement des délais de prescription et l’introduction d’une nouvelle catégorie de crimes imprescriptibles risquent de créer des faux espoirs chez les victimes, leur laissant croire que justice pourra être rendue, alors que les preuves nécessaires pour établir les faits auront disparu avec le temps.

Il est également regrettable de constater l’absence de dispositions transitoires relatives à l’application de la nouvelle loi dans le temps, bien que toute loi modifiant la prescription soit d’application immédiate. Si cette omission est justifiée par le ministre de la Justice par le souci d’« éviter une complexité inutile », il va sans dire que cette modification du régime applicable suscitera de nombreuses interrogations, notamment quant au sort réservé aux affaires pendantes lors de l’entrée en vigueur de la loi.

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