Quelle réponse pénale quand le harcèlement tue ?

La réouverture récente du dossier « Cantat », ancien chanteur du groupe Noir Désir, condamné pour le meurtre de Marie Trintignant, et poursuivi à la suite du suicide de son ex-compagne Kisztina Rády ravive un débat juridique sensible : celui de la responsabilité pénale lorsqu’un suicide survient à la suite de violences physiques ou psychologiques répétées ou de harcèlement.

La décision de rouvrir le dossier « Cantat » a été prise par le parquet de Bordeaux, à la suite du reportage Netflix « De rockstar à tueur : le cas Cantat », laissant apparaitre de nouveaux éléments à charge du chanteur.

Vu l’époque des faits, le chanteur ne peut être poursuivi que du chef de « violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner », dans la mesure où l’infraction de harcèlement au sein du couple ayant conduit à un suicide n’est entrée en vigueur que postérieurement. En France, le harcèlement scolaire ayant conduit à la même conséquence a également fait l’objet d’une précision législative. Dans les deux cas, les peines sont portées à dix ans d’emprisonnement et à 150 000 € d’amende.

De notre côté du Quiévrain, le droit ne connaît pas de disposition équivalente. Certes, le droit belge réprime le harcèlement en prévoyant une peine jusqu’à deux ans d’emprisonnement mais le fait que celui-ci ait conduit à un suicide ou à une tentative de suicide n’influe pas sur la peine maximale qui peut être prononcée par le juge.

Plus étonnant encore, en l’état actuel, le droit belge n’est pas familier de l’infraction d’incitation au suicide – à savoir le fait de provoquer intentionnellement le suicide d’autrui – infraction qui figure pourtant dans l’arsenal de nombreux pays européens et notamment en France depuis plus de trente ans.

Cette incrimination fera cependant son entrée dans le nouveau Code pénal, dont l’entrée vigueur est prévue le 8 avril 2026, et qui sanctionnera, en son article 109, l’incitation au suicide, définie comme « l’accomplissement, délibérément, d’un acte de nature à amener une personne à se donner la mort ».

Pour qu’un comportement entre dans le champ d’application de cette nouvelle infraction, il faut que l’incitation soit dirigée contre une ou plusieurs personnes déterminées – « la diffusion générale d’informations sur des techniques permettant de s’ôter la vie ne tombant […] pas sous cette incrimination »[1].

L’incitation peut être psychologique – par exemple convaincre quelqu’un que le suicide est la solution à tous ses problèmes – ou matérielle – comme fournir une arme à une personne dont on sait qu’elle est suicidaire. Il appartient toujours au juge du fond de déterminer si le comportement en cause est objectivement de nature à inciter une personne présentant les mêmes caractéristiques et placée dans les mêmes circonstances à se donner la mort. Comme le soulignent les travaux parlementaires de la loi, « le contexte est en effet essentiel pour pouvoir vérifier si l’acte constitue une incitation ou non. De nombreux actes seront seulement de nature à amener la victime à se donner la mort en raison de la situation dans laquelle se trouve celle-ci ou de son état (d’esprit) »[2].

L’incitation suppose toujours un acte positif : l’absence d’acte ne doit pas être considérée comme de l’incitation mais elle pourra éventuellement être considérée comme de la non-assistance à personne en danger, également punissable pénalement.

De plus, l’incitation doit déboucher sur le suicide de la victime ou sur une tentative. Enfin, s’agissant d’une infraction intentionnelle, une incitation délibérée de l’auteur à pousser sa victime au suicide est requise. Il doit savoir que son comportement est de nature à inciter la personne à s’ôter la vie.

La nouvelle loi prévoit également une version aggravée de l’infraction lorsque la victime se trouve en situation de vulnérabilité, est mineure, ou entretient une relation particulière avec l’auteur (familiale, conjugale, hiérarchique). L’incitation fondée sur un mobile discriminatoire est également plus sévèrement réprimée. La peine, en cas d’incitation au suicide aggravée, passe d’une sanction de niveau 2 à une sanction de niveau 3.

Certes, dans les cas les plus graves, lorsque le harceleur aura intentionnellement provoqué le passage à l’acte, il relèvera de la nouvelle incrimination d’incitation au suicide. Il n’en demeure pas moins que, dans l’hypothèse où le suicide n’est pas directement provoqué mais résulte de faits de harcèlement répétés – qu’ils interviennent dans un contexte conjugal ou scolaire – le juge belge restera confronté à un périlleux dilemme : qualifier ces faits de simple harcèlement, ou démontrer qu’ils s’apparentent à un homicide[3]

 

[1] https://www.lachambre.be/FLWB/PDF/55/3518/55K3518001.pdf, p. 144.

[2]  https://www.lachambre.be/FLWB/PDF/55/3518/55K3518001.pdf, p. 145.

[3] Voy. par exemple : Liège (18e ch.), 26 mars 2015, Stradalex, F-20150326-5, confirmé par Cass., 9 décembre 2015, P.15.0578. F., Dr. pén. entr., 2016 p. 139 et les conclusions de l’Avocat général M. PALUMBO et note F. LAGASSE.

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