Sous l’empire de l’article 21ter du titre préliminaire du Code de procédure pénale, l’action publique pouvait être déclarée irrecevable lorsque le dépassement du délai raisonnable entrainait une atteinte irrémédiable aux droits de la défense. Selon la Cour de cassation, il est question d’une telle atteinte lorsque le prévenu n’a plus la possibilité, notamment en raison du dépassement du délai raisonnable, de faire valoir ses moyens de défense et de présenter toutes demandes utiles au jugement. Le juge pouvait également prendre en considération ce dépassement pour prononcer une condamnation par simple déclaration de culpabilité ou infliger une peine inférieure à la peine minimale prévue par la loi.
Désormais, le juge dispose d’une carte supplémentaire dans sa manche dès lors qu’il est à présent permis, tant pour la juridiction d’instruction que de celle de jugement, de prononcer l’extinction pure et simple de l’action publique en cas de non-respect « très grave » du délai raisonnable. Cette faculté offerte au juge s’apprécie au regard de l’objectif premier de la loi « droit de la procédure pénale I », qui vise à éliminer la prescription de l’action publique dès la saisine du juge du fond (article 23 du titre préliminaire du Code de procédure pénale), tout en lui permettant de constater l’extinction de l’action publique en raison de la durée déraisonnable de la procédure. Ainsi, le juge du fond qui hier devait s’en remettre à un calcul mathématique pour déterminer si l’action publique était éteinte par prescription devra dorénavant exercer son pouvoir d’appréciation afin de déterminer si le dépassement du délai raisonnable revêt une gravité telle qu’il justifie l’extinction de l’action publique.
L’avant-projet de loi, tel que soumis à l’avis du Conseil d’État, se contentait d’énoncer qu’en application de l’article 27, alinéa 1er, du titre préliminaire du Code de procédure pénale, le juge disposait désormais de la faculté de constater l’extinction de l’action publique « si la durée des poursuites pénales dépasse le délai raisonnable »[1]. Ainsi, à la possibilité de sanctionner la violation du délai raisonnable en agissant sur la détermination de la peine, est ajoutée la faculté de sanctionner cette violation en intervenant sur l’action publique elle-même. Dans son avis 72.855/1 du 12 mai 2023, le Conseil d’Etat a souligné que la disposition en projet omettait de préciser les circonstances dans lesquelles le juge pourrait par exemple, déclarer l’action publique éteinte[2]. À la suite de avis, l’article 27, alinéa 1er, du titre préliminaire du Code de procédure pénale, a été modifié, disposant désormais que l’extinction de l’action publique peut être prononcée en cas de non-respect « très grave » du délai raisonnable[3]. Il demeure cependant difficile de saisir pleinement la portée de cette notion de non-respect « très grave » dès lors que le législateur s’est abstenu d’en définir lui-même les contours.
Il conviendrait de distinguer deux situations procédurales en vue de donner une portée concrète à la présente modification législative. Dans une première hypothèse, si l’écoulement du temps porte atteinte de manière irrémédiable aux droits de la défense et à l’administration de la preuve, de sorte que la personne mise en cause n’a plus la possibilité de faire valoir ses moyens de défense et de présenter toutes demandes utiles au jugement, l’action publique peut être déclarée irrecevable. Dans une seconde hypothèse, si le dépassement du délai raisonnable est « très grave », sans que cela n’entrave nécessairement la possibilité pour la personne mise en cause d’exercer effectivement ses droits de la défense, le juge peut prononcer l’extinction de l’action publique.
La première décision publiée en la matière ne s’est pas fait attendre. Ainsi, dans un arrêt du 3 juin 2024[4], la Cour d’appel de Mons, siégeant en chambre des mises en accusation, a sanctionné le dépassement très grave du délai par l’extinction de l’action publique. Dans cette affaire, la Cour a constaté que l’enquête qui avait duré une dizaine d’années n’avait pas été menée avec toute la diligence requise et que le dépassement très grave du délai raisonnable devait conduire à prononcer l’extinction de l’action publique. Il est à noter que la Cour d’appel a également constaté que le dépassement très grave du délai raisonnable a irrémédiablement nui aux droits de la défense. Cette considération nous parait surabondante. En effet, pareille exigence reviendrait à assimiler l’irrecevabilité de l’action publique pour dépassement du délai raisonnable et l’extinction de l’action publique pour dépassement « très grave » du délai raisonnable, ce qui in fine viderait de sa substance la réforme introduite par la loi « droit de la procédure pénale I » du 9 avril 2024 et serait source de confusions, le juge ayant alors deux remèdes pour traiter des mêmes maux.
La distinction opérée entre l’irrecevabilité des poursuites et l’extinction de l’action publique prend également tout son sens lorsque l’on considère le traitement réservé à l’action civile. Lorsqu’est prononcée l’extinction de l’action publique, le juge pénal conserve sa compétence pour examiner l’action civile, en raison du maintien du lien d’instance. En revanche, lorsque les poursuites sont déclarées irrecevables, ce lien d’instance est rompu dès lors que l’action publique n’a pas été régulièrement portée devant la juridiction pénale. En cette occurrence, le juge pénal ne peut connaitre de l’action civile.
En conclusion, si la loi « droit de la procédure pénale I » du 9 avril 2024 marque une avancée notable en introduisant la possibilité d’extinction de l’action publique en cas de dépassement « très grave » du délai raisonnable, son application pratique demeure incertaine. L’absence de définition précise de cette notion laisse au juge une marge d’appréciation importante, ce qui nécessitera une construction jurisprudentielle progressive. La prudence et la patience seront donc de mise avant de pouvoir mesurer pleinement l’impact de cette réforme.
[1] Avant-projet de loi, Doc. parl. Chambre, 2022-2023, 3514/001, p. 69.
[2] Avis du Conseil d’État, Doc. parl.,Chambre, 2022-2023, 3514/001, pp. 102-103.
[3] Projet de loi, Doc parl. Chambre, 2022-2023, 3514/001, p. 126.
[4] Le pourvoi introduit devant la Cour cassation le 18 septembre 2024 a été rejeté.